L’articulation entre la philosophie et la marionnette peut se faire de deux manières : il est possible d’abord d’envisager une « philosophie de la marionnette », qui consiste à mobiliser des références empruntées à l’histoire de la philosophie pour interpréter les scènes du théâtre de marionnettes. La philosophie, pour reprendre les termes de Gilles Deleuze dans Proust et les signes, « suppose [alors] des énoncés directs et des significations explicites, issus d’un esprit qui veut le vrai ». Ces énoncés directs sont utilisés comme des grilles de lecture objectives visant à interpréter les spectacles et à en faire de riches prétextes pour penser à des sujets de plus grande envergure comme le rapport de l’esthétique et de la technique, la manipulation de la matière, la mise en scène de corps virtuels, l’âme et l’animation… La marionnette est alors utilisée comme un medium esthétique pour penser les grands problèmes de notre humanité dans son rapport à l’altérité. (…)
L’articulation entre la philosophie et la marionnette peut alors se faire dans un tout autre sens qui appelle une nouvelle méthodologie : celle que le chercheur finlandais Esa Kirkkopelto nomme « recherche‑création ». Ici, la théorie philosophique n’est pas utilisée pour amener la création artistique dans des « régions tempérées du clair et
du distinct » (Gilles Deleuze) , fréquentées par les esprits rationalistes. Au contraire, c’est un autre type de pensée qui est ici en jeu : une « pensée‑marionnette » qui est une « pensée de plateau », une pensée de terrain — dont le terrain serait la scène marionnettique dans toutes les particularités qu’elle présente. Pour le dire simplement, les concepts qui sont employés pour penser la marionnette ne sont plus empruntés à l’histoire de la philosophie, mais sont construits de manière adéquate lors de workshops de recherche‑création, émergeant de mises en situation aussitôt saisies par le penseur en action.